08 Juillet 2025 

Au cœur du Judo Breton #2 - Serge Decosterd

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Au cœur du Judo Breton #2

Serge Decosterd


J’aime tout dans le judo Serge Decosterd, judoka 7e Dan, nous partage un aperçu de son parcours impressionnant. Figure incontournable du développement du judo en Bretagne, il est passionné par la dimension éducative du judo. Il nous raconte avec enthousiasme ce qui l’anime depuis tant d’années et comment le judo a façonné sa vie.

Parcours


Q: Peux-tu te présenter en quelques mots ? (Parcours, rôle dans le judo, lien avec la Bretagne)
R: Je suis arrivé en Bretagne en 1980, après six années passées à l’INSEP. Le directeur national de l’époque m’a confié la mission de créer la section sport-études à Rennes. On a commencé avec 9 élèves. La section a vite grandi passant de 9 à 12 puis une trentaine d'élèves. En 1990, j’ai ouvert la section féminine (5 filles au départ), puis une section sportive militaire (une dizaine de judokas), et enfin une section universitaire. On avait alors un véritable parcours complet pour les jeunes souhaitant pratiquer le judo de manière intensive.

Au début, j’étais jeune, il n’y avait pas beaucoup de monde, alors je faisais randori avec tout le monde.

Après 25 ans de service en Bretagne, David Douillet m’a contacté pour que je vienne à Paris, à la demande de la Fédération, pour m’occuper de l’entraînement avec l’équipe de France. Finalement, Jean-Luc Rougé a transformé ma mission : on a lancé, en urgence, le Centre national de l’Institut du Judo. J’ai commencé en juin, et le centre a ouvert en septembre.

Plus tard la FIJ m'a sollicité pour "créer" un centre mondial d’entraînement. On m’a également demandé de rédiger la dernière progression française d’enseignement du judo (vers 2019) et j'ai aussi participé à la création du kodomo no kata.

Je pensais rester à Paris deux ou trois ans, j’y suis finalement resté vingt ans. J’ai terminé ma carrière comme directeur de l’enseignement.

Aujourd’hui à la retraite, je garde des contacts et je continue à intervenir : en tant que formateur, jury, et je reste très impliqué dans le judo. Je réfléchis toujours à son évolution. L’un de mes sujets de prédilection, c’est aussi le travail au sol sur lequel je collecte des documents — même si je ne néglige évidemment pas le judo debout.


Q: On dit souvent que le judo breton était réputé pour la qualité de son Ne-Waza. C’était vraiment le cas ?
R: J’ai toujours eu une conception du judo comme un tout, avec une pratique du Ne-Waza très présente. J’ai eu la chance d’être très bien formé à l’INSEP, notamment avec Serge Feist , Patrick Vial, Jean-Jacques Mounier et Jean-Pierre Gibert — des partenaires avec qui je faisais régulièrement des randoris au sol.

Sans oublier Monsieur Awazu. Quand j’étais à l’INSEP, il m’invitait en randori au sol et riait de plaisir devant mes vaines tentatives. Ensuite, il me prenait comme partenaire pour des séances d’uchi komi. J’ai eu la chance de le connaître et de profiter de ses conseils.

Cette approche du Ne-Waza, je l’ai mise en place dans mes clubs. Le lundi soir, on avait un entraînement exclusivement dédié au Ne-Waza. On se saluait et je disais : « Deux par deux, Ne-Waza. »

Par la suite, en compétition, plusieurs judokas bretons se sont illustrés en Ne-Waza, ce qui a contribué à forger cette réputation.

C’est d’ailleurs une fierté quand j'ai vu David Douillet utiliser un retournement que je lui avais appris.


Q: Comment as-tu découvert le judo et qu’est-ce qui t’a attiré ?
R: J’étais le plus jeune de la fratrie, et notre voisin du dessous, qui était assistant au club de judo local, a proposé à ma mère de nous y emmener, car nous étions très actifs. À l’époque, on ne pouvait obtenir une licence qu’à partir de 8 ans : j’ai eu la mienne en 1965, mais j’avais en réalité commencé dès 1963. J'y suis toujours licencié.


Q: Quel à été ton premier club et ton premier professeur ?
R: Mon premier club était celui de Cognac, en Charente dans l’un des premiers clubs créés en France, en 1950. Le dojo se trouvait à l’étage d’un bâtiment où le club de gymnastique occupait le rez-de-chaussée. On s’entraînait sur de la sciure recouverte d’une bâche, en guise de tatami.

Mon premier professeur était Monsieur Alcide Gibeaud, un petit gabarit. Il avait connu les compétitions toutes catégories et s’était spécialisé dans les balayages. M. Gibeaud est apparu en deuxième page de L'Équipe après avoir obtenu son 6ème dan à 70 ans.

Il avait commencé avec la méthode Kawaishi, mais après avoir découvert la méthode Abe lors d’un stage, il s’y est pleinement consacré. Moi, j’ai directement débuté avec la méthode Abe. Ma 1ère technique était "de-ashi-barai". À l’époque, on faisait aussi régulièrement des démonstrations pour faire connaître le judo en Charente.

Q: Comment as-tu vécu le développement du judo en Bretagne ?
R: Quand je suis arrivé, il y avait environ 8 000 à 9 000 licenciés. 25 ans plus tard on approchait les 30000 licenciés. Mais au-delà de cette progression, ce qui me satisfait vraiment, c’est surtout la pérennité des structures que j’ai contribué à créer.


Q: Pourquoi le judo a-t-il connu une progression aussi forte dans ces années-là ?
R: Il y a plusieurs raisons. D’abord, on a eu la chance d’avoir dans chaque département breton des personnes compétentes et très investies : Claude Urvoy dans le Finistère brestois, Michel Pottier à Quimper, Alain Hervé à Saint-Brieuc, Pierre Pautler au JCM Vannes, Félicien Bizouarn dans le nord-Finistère, sans oublier le Cercle Paul Bert en Ille-et-Vilaine. Des pôles solides se sont structurés un peu partout. Malgré quelques « querelles de clochers », cette forme de concurrence a au final contribué à faire avancer tout le monde.

Ensuite, le judo a toujours eu une excellente image sur le plan éducatif — c’est encore vrai aujourd’hui. Il s’est développé en s’inspirant fortement du modèle japonais, ce qui est, selon moi, une très bonne chose. On a conservé un haut niveau d’exigence technique, avec des enseignants attachés à la qualité, et un volume d'entrainement et de pratique important.

Enfin, c’est important de savoir d’où on vient. Le judo en France est passé par le jujitsu, puis a été une section de la fédération de lutte avant que la Fédération Française de Judo ne soit fondée en 1946. Je pense que l’apport de figures comme Courtine ou Pariset ont énormément compté dans cette construction.

Pratique


Q: Qu’est-ce que tu aimes dans le judo ?
R: Ce que j’ai toujours aimé, c’est l’aspect éducatif. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a commencé le judo avec mes frères : on était très remuants — aujourd’hui on dirait hyperactifs — et le judo nous a apporté un cadre, une certaine rigueur. Le professeur était très exigeant, notamment pour les passages de grade, avec beaucoup de précision technique. Il y avait aussi une vraie ambiance familiale puisque la plupart de la famille pratiquait.

Ensuite, je me suis pris au jeu de la compétition avec mes frères. Il y a eu l’Insep, puis la Bretagne en 1980. Et au fil du temps, ce que j’ai aimé de plus en plus, c’est la recherche technique, la compréhension fine des principes, et cette quête d’amélioration constante.


Q: Qu'es ce que tu n'aime pas dans le judo ?
R: J’aime tout dans le judo. Parfois, il peut y avoir des tensions ou des chamailleries entre personnes, mais ce n’est pas le judo en lui-même, c’est le tempérament humain. Le judo apporte énormément aux gens, et ce que j’apprécie surtout, c’est qu’on continue d’apprendre toute sa vie : à travers la compétition, les katas, l’arbitrage, la transmission, l’écriture… tous les aspects du judo sont une richesse.


Q: Quelle est ta (ou tes) technique favorite ?
R: J’ai commencé en cadet avec morote seoi nage à gauche. J’étais ambidextre, avec un frère droitier et un frère gaucher. À l’époque, un judoka qui m’a marqué, c’est Shozo Fujii : il faisait cette technique à merveille. Pendant une période où j’étais blessé, je ne pouvais pas pratiquer, alors je lisais énormément sur le judo, et c'est en lisant que j'ai aussi appris sur le judo.

Plus tard, à l’Insep, vers 17 ans, je me retrouvais souvent bloqué sur morote. Je me suis donc tourné vers harai goshi et uchi mata, que j’ai beaucoup travaillés. J'aime aussi beaucoup osoto gari. À l’Insep, j’ai eu la chance d’avoir des entraîneurs japonais avec qui, après l’entraînement, on pouvais travailler en petit comité (parfois en cours particulier) et on travaillait souvent osoto gari.


Q: Quel a été ta plus belle expérience dans le judo ?
R: Honnêtement, il y en a plein ! Plein de grandes joies à différentes périodes de ma carrière, que ce soit en tant que compétiteur ou enseignant. La création des structures, par exemple, n’était pas gagnée d’avance.

Beaucoup de ceux qui sont passés par ces structures sont devenus professeurs de judo. On disait souvent que l’entraînement intensif pouvait dégoûter du judo, mais c’est en réalité le contraire qui s’est produit : les passionnés sont restés passionnés, et continuent encore aujourd’hui à pratiquer dans les quatre départements. Beaucoup de judokas formés dans les cours et structures que j’ai organisés occupent aujourd’hui des responsabilités à tous les niveaux du judo, que ce soit dans l’enseignement, l’arbitrage ou la gestion.

J’ai aussi vécu de très beaux moments en compétition : les championnats universitaires, être vice-champion du monde par équipe, les championnats du monde militaires… Chaque expérience a eu son importance.


Q: Qui incarne, selon toi, le plus le judo ? Qui sont tes références ?
R: Pour moi, ce sont avant tout mes professeurs mais aussi Henri Courtine, Okano, Yamashita, Shinji Hosokawa, autant de grandes références du judo. Il y a aussi beaucoup de judokas français, ceux des jeux de 1972, Coche, Mounier, Brondani et bien sûr plus tard Jean Luc Rougé. On trouve d’excellents judokas, mais aussi de grands enseignants dans les clubs à travers la France, ainsi que de grands dirigeants.

Évolution du judo



Q: La promotion du judo semble se faire essentiellement via la forme compétitive de la discipline, que faut-il en penser ?
R: Il ne faut pas restreindre le judo à la compétition, même si c’est nécessaire au parcours du judoka. (il y a aussi l'arbitrage, l'enseignement, la recherche...)


Q: Que dire à propos de l'arbitrage ?
R: Des fois, je n’étais pas d’accord avec certaines décisions. Par exemple, le responsable de l’Azerbaïdjan s’énervait sur le fait que les saisies de jambes étaient supprimées, et il semblait me le reprocher. Alors que moi, j’étais d’accord avec lui, sur le fait qu'il fallait maintenir ces techniques. Shozo Fujii, lui, était très ferme dans ses réponses : il disait qu’il faut permettre aux gens de faire ce qu’ils veulent, et montrer que notre façon de faire est la meilleure.

Questions personnalisées


Q: Est-ce que ta manière de percevoir la pédagogie au judo a évolué ? (et comment ?)
R: Oui, j’ai mûri certaines idées au fil du temps. On continue toujours à chercher, à réfléchir. Les différents enseignants que j’ai rencontrés m’ont beaucoup enrichi et ont fait évoluer ma façon d’aborder la pédagogie.

Conclusion


Q: As-tu une anecdote marquante à partager sur ton parcours dans le judo ?
R: Ma première compétition avec l’équipe de France universitaire en tant que sélectionneur et entraîneur, c’était les championnats du monde en Corée, vers 2009. On s’est retrouvé en finale face au Japon et la France a marqué un magnifique ippon par Dimitri Dragin. L’entraîneur japonais, Shinohara, est venu me serrer la main à la fin et m’a dit « félicitations » en japonais.


Q: Si tu devais décrire le judo en une phrase, qu'elle sera-t-elle ?
R: La voie de la souplesse (pas uniquement la souplesse physique => la voie de l'adaptation)


Q: Si tu avais un livre à conseiller ?
R: J’ai une bibliothèque bien remplie, avec de nombreux ouvrages anciens. L’un d’eux, Le Judo de Kano a été édité en 1905, traduit de l’anglais en français. J’ai également un autre ouvrage "Jigoro Kano and the Kodokan, An Innovative Response to Modernisation", offert et signé par le directeur du musée du Kodokan qui était Naoki Murata. Ce sont des livres que je garde précieusement.




Q: Quelle personne sera la prochaine à être interviewée ?
R: Joël Boucher, 7e dan, professeur à l’ASPTT Brest. Il connaît très bien le judo breton, dans lequel il a occupé de nombreuses fonctions, dont celle de responsable de la culture judo. Je pense qu’il sera pour toi une excellente source d’informations.



Merci pour votre lecture et à très bientôt !
Interview réalisée par Simon Rebours

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